Recherche-création || Caroline Boileau

Réalisation et montage : Anaïs Ciaran, 2021

Ces langues que parlent les femmes

Quels sont les tabous liés au désir d’avoir un enfant, à la grossesse, à l’accouchement, à la maternité et au suivi médical?

Ce projet de recherche-création vise à rassembler des expériences contemporaines, multiples et diversifiées de la maternité et du désir de maternité en s’intéressant plus spécifiquement à la question des violences obstétricales. Tout au long du projet, ces expériences et témoignages seront transformés en œuvres visuelles à être présentées lors d’une exposition au CEUM-Centre d’exposition de l’Université de Montréal.

Ce projet de résidence à l’Université de Montréal me permet de revenir à une partie de mon travail d’atelier et de performance qui s’intéresse à la prise de parole de personnes rencontrées qui acceptent de me livrer, pour quelques instants ou plusieurs heures, le récit de leur corps. Par le passé, ces récits ont été de formidables moteurs de réflexion et de création que j’ai cherché à traduire par le dessin, la sculpture, la vidéo et la performance afin de les rendre publics. Je suis habitée par cette idée – sans doute un brin naïve – que l’on peut aménager un espace collectif, à même l’espace public, pour que ces paroles puissent être entendues et vues. Par mon travail, je cherche à complexifier histoires, connaissances et expériences, à les troubler davantage pour tenter de faire émerger des questionnements et des étonnements, pour (re)faire émerger la parole.

Mon fils aura bientôt 19 ans et la réappropriation de la maternité m’interpelle plus que jamais. L’histoire de son passage dans et à travers mon corps et ma vie est indélébile. Au fil des années, plusieurs corpus de travail abordent, de façon plus ou moins directe, cette question de la violence de la maternité, de la procréation, de l’accouchement, de l’allaitement, du poids du regard et du jugement de la société, de la charge mentale de la femme… Ce qui m’attire en particulier dans ce projet de résidence-ci, c’est l’invitation à réfléchir, à discuter et à créer quelque chose ensemble, cumulant différentes expériences et plusieurs voix.

Trop de lumière

Mesurer ce qui est ignoré

Angles morts mis au jour

Bouleversante histoire des corps

Lourde, dense et puante

Inconfortable

Alors on ferme un musée comme on brule une bibliothèque

Comment rendre compte des heures passées dans les livres et dans les bibliothèques ? Les auteurs me parlent, depuis des temps plus ou moins lointains. Je les écoute, j’essaie de comprendre d’où proviennent leurs connaissances et à qui s’adressent leurs savoir-faire. Je les lis avec le corps que j’ai aujourd’hui.

La tête et le cœur encore pleins des histoires recueillis l’an dernier, j’ai beaucoup fréquenté la Bibliothèque de la Santé puis celle des livres rares. J’ai eu envie de juxtaposer des textes et des illustrations médicales aux entretiens-fleuves, savoir-faire plus ou moins anciens contre paroles vives de femmes. Me pencher sur des connaissances ‘passées date’ me rappelle que la ligne est fine entre science actuelle et science désuète. Ce qui ne parait être que folie et élucubration farfelue aujourd’hui a déjà été accepté comme étant vérité et science exacte hier. Me rappeler ceci, l’inscrire sur des post-its, le tatouer sur ma peau et continuer à poser trop des questions, à être critique de pratiques qui s’autorisent à choisir ce qui est bon pour mon corps de femme.

Lire à voix haute dans un espace public n’est pas anodin. Que lit-on ? Sur quel ton ? Pour qui ? L’envie de présenter une performance à la Bibliothèque de la santé me taraude. Si les rayonnages passent d’un étage à l’autre, entre les planchers, pourquoi pas ma voix ? Perchée sur une échelle près du plafond, je pourrais offrir des textes en lecture entre les étages des rayonnages, en voix off, comme une narratrice aussi invisible qu’insistante. Mélopée de textes plus ou moins anciens de scientifiques depuis longtemps décédés remis en question par des paroles vives de femmes rencontrées véritablement. Et si nous pouvions leur répondre ? Et si nous pouvions témoigner des états limites où notre corps ne nous appartient plus, où d’autres prennent des décisions pour notre bien, des décisions qui, malgré le temps qui passe, nous glacent encore le sang ?

En guise d’intermède, entre les visites aux bibliothèques, j’ai aussi visité le Musée d’histoire dentaire de l’Université avant que ce dernier ne ferme ses portes pour faire place à un café étudiant. Plusieurs objets là-bas m’ont fascinée : un tératome, une boule de chair, de dents et de cils – du vivant qui s’est trop affolé pour créer un être viable ; une série de squelettes de fœtus dressés sur leurs jambes, présentés comme des adultes – leur fragile cou supportant un crâne immense ; un cadre de velours noir sur lequel les os d’un squelette de fœtus étaient étalés – pour faire joli. Une fois le musée fermé, qui s’occupera de ces ‘choses’ qui ont presque été des êtres ?

Il faudrait donner de la voix.

3 décembre 2022. Covid à l’intérieur et pluie soutenue à l’extérieur.

Notre première exposition est lancée! Accessible en ligne et de partout à la fois. Je me réjouis de la partager avec ami.e.s et collègues ici comme à l’autre bout du monde.

Les questions se bousculent dans ma tête pour la suite de la résidence. La force des dessins qui poussent à l’atelier me bouleverse. Je travaille à traduire des histoires denses et souvent empreintes de souffrance et de violences, mais je travaille dans la joie, avec les voix de toutes ces femmes rencontrées en boucle dans ma tête.

L’autrice Leonora Miano racontait, sur le balado La Poudre, que nous devrions tester quelques siècles de féminisme pour voir ce que ça donnerait, histoire de renverser la vapeur. Et si le vivant était replacé au centre du monde? Prendre soin du vivant implique aussi de prendre soin du souffrant. Pendant que je me plonge dans la maternité, dans le désir de porter ou non un enfant, le mien est déjà un jeune adulte de 20 ans. Donner la vie, accompagner le vivant est ardu, imprévisible, perturbant et magnifique. Du mieux que je peux, j’accompagne mes parents dans la vieillesse tout en passant mon temps à me replonger dans la maternité. Et si tout cela était lié? Est-ce qu’une société qui traite mal ses ainés néglige aussi le début de la vie? Il me semble que oui.  

3 avril, 2022. Aujourd’hui, il a un peu neigé, juste assez pour me rappeler que l’hiver n’a pas dit son dernier mot.

Pour la suite…

Lundi 31 mai 2021,

…ET ET ET…

Fin mars. Pour quatre jours, je profite de l’espace d’exposition au CEUM, toujours vide à cause de la pandémie. Quatre jours pour explorer des gestes et des performances, en solo et sous l’œil attentif d’Anaïs, la cinéaste qui travaille avec la Chaire. J’arrive ici avec une grande boite de plastique remplie d’objets, de vêtements transformés et d’outils, peu de couleurs cette fois-ci : petits organes de plastique orange qui sonnent creux ; vêtement de danse beige qui me permet d’être nue et habillée en même temps ; des images photocopiées, des illustrations d’utérus datant du Moyen-Âge jusqu’aux années soixante ; des rubans roses, beiges et noirs; mes souliers rouges à talon, avec les petites boucles sur les orteils ; mon ventre de grenouille qui pousse depuis le début de l’automne et enfin prêt à tester ; papier, crayons et aquarelles pour réfléchir autrement. Une fois les objets étalés sur la grande table, pour les avoir à vue, il s’agit de me réapproprier l’espace – plancher et colonnes en béton, murs blancs – pour y déployer des gestes. Comment toutes ces choses résonnent-elles ensemble ici?

J’arrive aussi avec le terme AMBIVALENCE comme bagage. Ce mot, qui revient d’un entretien à l’autre et d’une femme à l’autre, devient PARADOXE, puis CONTRADICTION, se transforme en COMPLEXITÉ pour décrire l’expérience de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité. Que des zones grises ici, fluctuations de lumières, états physiques et psychologiques qui ne peuvent être résumés pour faire simple. J’apprends à biffer les MAIS et à juxtaposer les ET à l’infini. Je suis ceci ET cela. J’ai vécu ceci ET cela. Moi qui aime les formes et les états hybrides, je suis servie!

La fable comme forme de récit, de transformation du réel, s’est imposée depuis quelques mois. Surtout en lien avec le travail en performance et en vidéo. La fable donc, un sujet de récit selon une vieille utilisation du mot. Du côté de la littérature, on parle plutôt d’un récit de fiction qui exprime une vérité générale. La fable peut-elle aussi exprimer une vérité collective? Du côté du Larousse, on propose trois définitions : L’apologue, le récit allégorique d’où l’on tire une moralité (je n’ai pas beaucoup d’amour pour ce mot… que je remplace par nécessité) ; un ensemble de récits mythologiques de l’antiquité (les femmes accouchent depuis toujours!) ; finalement, la fable renvoie au propos mensonger, à des histoires, des allégations inventées de toutes pièces. Et c’est beaucoup ainsi que l’on vit avec les violences obstétricales : ne pas être entendue ; lorsqu’on est entendue, ne pas être crue ; lorsqu’on est crue, se faire dire que des millions de femmes l’ont toujours supporté sans broncher ; lorsqu’on pique une colère, se faire traiter d’hystérique. Alors, je me surprends à rêver d’une vagina dentata, d’un utérus muni de dents acérées, peut-être la meilleure ligne de défense contre, pour ne nommer qu’un exemple, tous ces doigts hospitaliers insérés dans le vagin sans consentement.

Aujourd’hui, 21 avril 2021, il neige et je me suis faite vaccinée pour la Covid-19 avec le vaccin AstraZeneca.

Conciliabules

Les entretiens ont débuté le 5 février. Depuis le début de la résidence, je prépare toutes sortes d’objets et de matières à l’atelier en espérant que les mesures de distanciation sociale soient allégées et que l’on puisse se réunir en vrai. Je souhaitais accueillir les participantes dans une pièce où j’aurais dresser une belle table peuplée d’objets qui racontent : nappe-courtepointe de papier journal teinte et cousue ; utérus-pochettes de papier journal ; molaires surdimensionnées en argile recouvertes de vernis iridescent ; ailes d’insectes légères et fragiles ; confettis brillants ; languettes de papier arborant les mots-clés qui invitent à se délier la langue.

Les entretiens ont donc lieu sur Zoom, de façon imparfaite, mais nécessaire. Pour chaque entretien, une mini-installation sur table est partagée par mon téléphone branché à l’ordinateur. Je dessine et capte les récits pendant qu’elles me racontent leurs corps de femme. Et elles en ont toutes plusieurs : celui d’avant ; celui qui s’est métamorphosé au fil de traitements, de la grossesse et tous les corps de l’après : celui qui souffre et prend du temps à se réparer ; celui qui souffre et ne se réparera jamais tout à fait ; celui qui apprend à faire avec.

Mes notes ressemblent à des planches de bandes dessinées sans cases et sans organisation apparente, comme des fanzines un peu trash. Je les adore. Les mots et dessins prennent place sur les deux côtés de la page hors de toute chronologie. Je capte de façon brute, rapidement, car les mots et les images s’envolent vite. Une fois couchées sur papier, leurs histoires me collent à la peau. Elles m’habitent longtemps, de la maison jusqu’à l’atelier où leurs récits m’inspirent d’autres dessins : des images ambivalentes, entre séduction et répulsion, entre douleur et plaisir, entre violence et respect. Je m’étonne de chaque dessin et continue d’avancer, à tâtons. Je vis avec un sentiment de responsabilité face à toutes ces expériences qui m’ont été confiées. Je ressens aussi une certaine pudeur à les partager trop rapidement, car je veux le faire dans un espace physique avec des gens, plein de gens. J’imagine pour elles un imposant et tonitruant feu d’artifice.

À ce jour, 15 mars 2021, je porte quinze entretiens et j’en attends plusieurs autres.

Hiver et printemps 2021 – entretiens individuels

Winter and Spring 2021 – Individual Interviews

2001, 2006, 2009 et 2021

Written sometime in October 2001, reworked in the Fall of 2006, used in a performance in 2009 and found again on January 14, 2021.

I have just given birth to my son and my body has been transformed forever. I am now a mother. I am responsible for another human being twenty-four hours a day, seven days a week and for the rest of my life. I am terrified that I will never be alone again. My concept of time has been completely shattered. Severely damaged, it has now become elastic. Before this body, one hour was never long enough to start anything important and it was discarded without a second thought. Now, in this other body, one minute is a pond, five minutes a lake, fifteen minutes to myself has become an ocean and not a single drop is left to evaporate on the floor. My body has also kept its elasticity well after childbirth. My son is constantly pushing the limits of my body from the inside out. He doesn’t even have to be close to me for this to occur. It is a permanent state, maternity for eternity. This is a wonderful, magical place to be in but it is also part of the problem. The mother inhabits a giving, unselfish body, a body in direct conflict with the selfish one of the artist. I know I have to pull at this experience until I am able to use it in my artwork otherwise motherhood will swallow everything, leaving crumbs for the artist.

Probablement écrit en octobre 2001, retravaillé à l’automne 2006, utilisé lors d’une performance en 2009 et retrouvé le 14 janvier 2021.

Conciliabule, palabres et palaver

J’aime les mots savants et j’ai un faible pour les mots désuets. Ça sonne bien dans la bouche et sur la langue, derrière les dents. Comme Conciliabule, pour se chuchoter des secrets en tête-à-tête ; palabres, pour se réunir en assemblées et décider ensemble ; palaver, pour discuter trop longuement, à plusieurs et en prenant soin d’ajuster nos langues.

Une semaine d’explorations au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, vide à cause de la pandémie, vide parce que la culture qui ne se monnaie pas est dangereuse, vide, car notre gouvernement sacrifie la culture au profit du profit.  Au CEUM donc, j’ai apporté une grande boite pleine de choses : pochettes de papier journal, dents de géante, matières plastiques, matières réfléchissantes, toute ma collection de gants, une loupe autoéclairante, une minuscule paire de ciseaux, des ailes translucides et des confettis. Je suis seule aujourd’hui dans cet espace qui résonne, ma propre respiration se superpose à celle du lieu. Une respiration mécanique garantie propre propre. C’est moi le virus aujourd’hui. Je bouge, je tâte et tâtonne, chantonne des berceuses pour enfant avec la caméra cubique coincée entre les dents.

J’essaie ici de faire parler les choses que j’ai assemblées et construites à l’atelier. J’essaie d’imaginer les rencontres à venir, les œuvres à inventer.

Un froid mordant, 13 décembre 2020

Brouhaha 

Bruit confus qui s’élève d’une foule / Onomatopée comme sous-titre pour documenter l’avancement de la recherche-création / Terme particulièrement satisfaisant en lien avec Ces langues que parlent les femmes

Hélène Cazes, lors de sa conférence pour le Medical Heritage Library du 13 novembre, propose de penser à l’histoire de la médecine comme une cartographie plutôt qu’une ligne du temps. Un territoire à explorer en tous sens et avec des allers et des retours plutôt qu’un déplacement linéaire suggérant consensus et progrès. Une cartographie pour rendre compte du brouhaha, des voix du passé, des disputes et désaccords qui viennent brouiller le présent. Dans The Cosmopolitical Proposal, Isabelle Stengers propose de se réapproprier la pratique du palaver,  discussions longues et difficiles qui réunissent plusieurs voix dissonantes et discordantes. Bref, avancer ensemble lentement en acceptant le tâtonnement : quelques pas en avant, d’autres vers l’arrière et certains de côté.

Un brouhaha donc :

Août 2020. Lecture de l’article de Sara Cohen Shabot sur les violences obstétricales, Making loud bodies feminine. Cela m’a donné envie de renverser le titre pour proposer : Making feminine bodies loud et pourquoi pas : How to make feminine bodies loud? Comment accueillir et recueillir les voix et expériences des femmes à rencontrer? Comment m’assurer de les faire entendre?

Septembre 2020. Au fond de ma boîte d’archives destinées au collage, j’ai retrouvé quelques pages déchirées d’un vieux livre sur la mère canadienne française. La seule section que j’ai conservé documente un rituel de préparation pour une naissance à domicile : disposer les meubles et objets autour de soi de manière efficace ;  préparer les liquides, onguents et instruments nécessaires ; assembler des pochettes de papier journal pour recueillir les souillures et chairs sanguinolentes lors de l’accouchement. Se préparer soi-même et avec les moyens du bord. Accueillir la naissance avec des mots, avec les mots du présent, de l’actualité, des événements qui agitent le monde de l’autre côté de la fenêtre. Je relis le texte, suis les étapes, respecte la marche à suivre et refais ces objets des décennies plus tard. Je pense à ces femmes qui prenaient en charge leur propre accouchement. Corps puissants, corps agissants. Quand sommes-nous devenues des gisantes?

Octobre 2020. Beaucoup de lecture : textes scientifiques, historiques, féministes, fanzines, quelques bédés. Je lis et relis les centaines de témoignages sur la page de La grossesse en confinement. À l’atelier, plusieurs matières sont déployées sur les tables : aquarelles et eaux turgescentes ; pochettes de papier journaux violacées ; petits triangles de matière molle et métallisée ; languettes de papier pour recueillir mots et maux.

Novembre 2020. Préparer matières, objets et vêtements pour tester des gestes performatifs. Un espace vide et vaste pour une semaine d’exploration en décembre! Un espace rempli d’écho pour accueillir mon brouhaha intérieur. Une caméra 360 degrés pour déformer le corps, pour le retourner sur elle-même.

Dans la sloche, 23 novembre 2020

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La présence d’une absence

Le texte de Heidi m’a bouleversée. Comment se réapproprier la quête de la maternité si celle-ci n’aboutit pas. Comment se réappropprier ce qui nous échappe? Comment donner une voix à ça? Une absence trop présente? La présence d’une absence?

Est-ce que le corps en garde une trace?

Je me rappelle tout à coup les quelques mois passés à espérer la grossesse qui ne venait pas assez rapidement à mon goût. Je faisais pourtant tout ce qu’il fallait : exercices, vitamines, pas d’alcool, sexualité active et détendue. Mon premier réflexe a été de penser que je faisais quelque chose de travers, que c’était forcément ma faute. Sur la rue et dans le métro, je regardais les femmes enceintes, avec une envie, non, avec une jalousie presque haineuse. Je me souviens de m’être sentie enragée, comme si elles m’avaient volé la maternité qui me revenait de droit. Et si cette attente s’était prolongée? Qu’aurais-je fait?

Combien de temps avons-nous attendu? 6 mois, 8 mois, 10 mois? Cela me paraît si peu aujourd’hui. Il est maintenant à l’âge où il prépare sa vie d’adulte. Je commence à mesurer le poids de sa chambre vide, la présence d’une absence annoncée.

En attendant la neige, 22 novembre 2020

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tic et tic éthique

Remplir les documents pour la certification éthique est un exercice exigeant et décalé car peu adapté au travail que je fais, à la recherche-création point. L’aide de M et de M m’a été précieuse pour ne pas perdre le fil, pour ne pas baisser les bras devant l’énormité de la tâche. Je crois avoir trouvé les bons mots pour expliquer ce que je fais, ce que j’aimerais faire, avec qui et vers quelle finalité je travaille. Les documents sont en train d’être passés au peigne fin, examinés sous la loupe, disséqués. En attendant le sceau d’approbation pour commencer les entretiens, je lis et dessine, je lis beaucoup et dessine davantage. Dessins et lectures prennent la forme de gestes réalisés pour la caméra.

Les projets que j’ai réalisés au cours des dernières années se sont construits par un processus lent et contextuel, en dialogue avec les différentes personnes en présence. Je débute avec le souci d’habiter le lieu où je me trouve : comment y passer le plus de temps possible? Qui sont les personnes qui utilisent ce lieu? Quels sont les langages corporels, verbaux et non-verbaux? Avec quels outils y travaille-t-on? Comment rencontrer ces personnes véritablement? Comment travailler avec elles sans les instrumentaliser par mon travail d’artiste? Toujours, j’essaie de travailler avec ce qui est là et non avec ce que je pense y trouver.

Ce projet de résidence débute différemment… il y a cette pandémie qui fait rage partout sur la planète et me coupe des gens que j’aimerais rencontrer et avec qui j’aimerais discuter. Les plateformes de visioconférences sont froides, frettes comme on dit ici. Je lis difficilement le langage non-verbal des gens installés de l’autre côté de l’écran. Comment alors se rencontrer véritablement? Dites-moi comment réchauffer la salle! Moi qui aime hanter des lieux, je voyage maintenant par l’esprit. Par le dessin, je documente le processus de recherche et invente les lieux et contextes qui me font cruellement défaut. Par la performance, je m’invente des gestes et des façons d’être seules mais connectée à d’autres. Je rêve de télépathie et de téléportation.

Comment débuter ? La question d’un projet à l’autre et, à cette première question, s’ajoutent toutes les autres : Que faire avec ce que je trouve ? Comment transformer ces images-témoignages-expériences-connaissances en œuvres contemporaines ? Quelles formes plastiques donner à cette recherche ? Dans quel but ? Pour les partager avec qui ? Ouf!

Un matin ensoleillé mais froid, 24 octobre 2020